Blitheful Riboud on the Eiffel
Il faut avoir bon pied bon œil et le cœur sacrément accroché pour monter à l’assaut du vieil escalier en colimaçon aujourd’hui disparu de la Dame de Fer de Gustave Eiffel. Surtout lorsque l’on a 30 ans, l’étonnement provincial et le tempérament timide, armé d’un seul film Kodak et d’un Leica en bandoulière dont le viseur, sur les conseils d’Henri Cartier-Bresson, a la fâcheuse manie de voir le monde à la renverse. Premier vertige de photographe pour Marc Riboud, ingénieur reconverti en reporter du hic et nunc, ici à près de 300 mètres au-dessus de Paris.
De cette poignée de funambules peignant à contre ciel sans filet, un seul passera à la postérité. À l’heure du casse-croûte, entre deux rondelles de saucisson, on le surnomme Zazou, et c’est vrai qu’il a de l’élégance et du swing, même 55 ans après, à jamais acrobate de tout son être, oiseau de pied en cap sur fond de brume et de Trocadéro. Face à l’équilibriste, un voyeur discret, fermant les yeux de peur chaque fois que le professionnel se penche pour tremper son pinceau, et qui réalise là sa première photo-fétiche.
Sur la planche contact, une fois le guetteur redescendu sur terre, Robert Capa choisit la bonne, la 24ème, et la vend à un magazine prestigieux. Bienheureux en haut de la Tour Eiffel, c’est ainsi que Life a titré l’homme au faux air de Chaplin et au trois-quarts profil fumeur à la Humphrey Bogart. « C’est la réalité qui est au bout de la ligne de mire – la réalité que le cadrage peut transformer en rêve » nuance Marc Riboud, qui ne cesse de répéter que non è pericoloso sporgersi, et qu’il faut désobéir aux mises en garde des chemins de fers de notre enfance. Non il n’est pas dangereux de vouloir se pencher au-dehors…
S’il lui arrive de préférer au Leica trop lourd un appareil jetable, c’est que ce grand nom de l’agence Magnum sait que la seule chose qui compte ce n’est pas la technique ni le métier, mais le coup d’œil : « Si le goût de la vie diminue, les photos pâlissent parce que photographier, c’est savourer la vie au centième de seconde. »
Sophie Nauleau
Années 2000