Ouverture. Supposons qu’il y ait dans la production de tout photographe une image que l’on pourrait tenir pour génératrice, par laquelle sans le vouloir il énoncerait lui-même son éthique de regardeur autonome et les principes de son art. Pour Marc Riboud, ce serait la photo de Pékin, 1965 ; tellement unique et en marge si on la compare à ses autres images, mais nous révélant à l’évidence les figures de son métier.

On y devine aisément le photographe comme séparé d’un monde – celui de la rue chinoise – qu’il n’oserait investir, toujours inquiet de se trouver étranger, où qu’il soit, et tentant néanmoins de percevoir des bribes d’une humanité extérieure. Il en résulte non pas une photo mais trois, ou davantage, autant il y a d’ouvertures dans cette claustra, ces ouvertures redondantes pratiquées dans une cloison de séparation, que l’on appelle par ailleurs des « regards ».

Chaque ouverture carrée ou rectangulaire délimite et sélectionne dans l’espace continu de la rue, une association forcée entre des présences, surprises dans une configuration presque aléatoire. Elles ne prennent sens désormais qu’à l’intérieur de ce cadre, à tel point que l’œil a peine à restituer la situation banale du quotidien urbain, où rien ne se passe, en fait, de l’autre côté.

Le seul événement qui advient ici, c’est la présence du photographe, débusquée par des regards qui semblent s’adresser à nous comme une accusation de voyeurisme. L’un isolé de l’autre. […]

 

Michel Frizot