Marc par Marc. C’est la raison simple de mon choix. Plutôt que de parler d’une photo que j’aime parmi mille autres. Plutôt que de retenir celle de la femme chinoise avec ses lunettes accrochées sur sa casquette qui fit la couverture du premier exemplaire de Polka, ce qui aurait été l’occasion de le remercier de ce geste amical et généreux. Plutôt que de le saluer, en désignant sa célèbre « jeune fille à la fleur », comme l’un des plus grands photographes du XXe siècle puisque cette image d’une puissance impressionnante et d’une beauté sensible est déjà entrée dans l’histoire. Plutôt que de sélectionner parmi ses photos qui respirent la tendresse et la poésie, celle qui, à mes yeux, serait la plus tendre et la plus poétique alors qu’elles le sont toutes. Plutôt donc de choisir une photo « par lui », j’ai choisi une choisi « de lui par lui » ce qui me permet de faire ce que j’ai le plus envie de faire à cet instant décisif : parler de lui.

Car cette photo le montre tel qu’il est : un homme élégant. Élégant dans son apparence, son habit, sa gestuelle toujours distinguée et si discrètement visible sur cette image. L’élégance d’un homme qui se tient droit adressant un signe comme souvent il le fait – le faisait – à celui, celle qui vient vers lui – j’imagine là Catherine ou Clémence marchant vers lui dans le labour derrière leur jolie maison de Touraine. Et ce signe est aussi adressé à celui qui regarde l’image, le regarde puisque c’est lui sur l’image. A vous, à moi. Ainsi Marc nous dit bonjour de là où il est depuis quelques années, dans une chambre, sans langage mais présent, vivant mais sans voix, bien là pourtant dans la pièce quand on le visite, à son adresse rue Monsieur le Prince, mais immobile telle une ombre sombre sur un mur blanc.

Et à côté de l’apparition de Marc, il y a cet arbre monumental. Son reflet, projeté sur la terre, semble monter vers le ciel, ses branches incendiées dégageant une espèce de fumée noire comme les deux tours explosées de Manhattan. Et Marc est là nous adressant un signe. Tout comme il était là, tout près des tours, le 11 septembre 2001, le jour où devait avoir lieu en soirée le vernissage de son exposition à New York, à la galerie Leica qui a gardé, en hommage et souvenir, l’affiche avec son nom en grand et « la » date en petit.

Pourquoi parler de cette tragédie du World Trade Center qui jaillit dans mon imagination en regardant cette image ? Parce que la magie des photos de Marc est justement de libérer notre pensée, de nous laisser aller chercher des références, des richesses, des rêves, des choses cachées qui, d’un seul coup apparaissent, sans que lui, Marc, ne nous les impose.

C’est cela, je crois, sa grande élégance qui dépasse les apparences pour gagner les esprits : adresser aux autres, ceux qui regardent, une révérence, se retirer afin de les laisser seuls imaginer ce qu’ils croient voir. Dès lors cette photo n’est plus la sienne. Il nous la donne dans un geste discret et généreux que semble dessiner cette ombre chinoise. Tel est Marc. Mon ami. Mon « copain » me disait-il quand il avait la parole.

 

Alain Genestar
Directeur de Polka
2015