En 1952, j’avais fait des photos du barrage de Tignes et Henri Cartier-Bresson m’avait dit : « tu es bon photographe mais si tu veux entrer à Magnum, il faut que tu voies Capa. »
J’ai donc rencontré Capa qui m’a pris sous son aile sans sermon mais avec une grande tape dans le dos et très vite un ordre : « Va vivre à Londres, tu es trop timide, tu verras les filles et tu apprendras l’anglais. » J’ai donc passé un an à Londres, je n’ai pas vu les filles, je n’ai pas appris l’anglais mais j’ai pris des milliers de photos.
Capa m’aimait bien. Il m’appelait, il venait me voir à Londres, il m’apportait des sous. J’étais encore intimidé par les journalistes et les autres photographes et Capa m’orientait en douceur, me donnait des tuyaux.
Un jour de 1954 Len Spooner, le directeur du Picture Post, le grand magazine anglais de l’époque, est venu le voir à son hôtel. Il préparait un numéro pour l’anniversaire des dix ans du débarquement. J’étais là et Capa disait : « tu dois mettre ma photo du D Day ». « Impossible », répondait Spooner : « on fait un numéro en couleur ». Et les fameuses photos de Capa à Omaha Beach étaient en noir et blanc. Mais ses photos en noir et blanc ont été publiées. Il avait un tel charisme, c’était impossible de lui résister. C’est ainsi qu’il m’a obtenu ma première commande à Leeds. Toujours avec Len Spooner qui faisait alors une grande série sur les villes anglaises. La série était finie mais Capa insistait. Il ne reste que Leeds disait Spooner. « C’est parfait », lui répondit Capa, « Leeds est la ville la plus triste d’Angleterre et Marc vient de Lyon la ville la plus triste de France ». Et Spooner a obtempéré.
Quand je suis revenu de Leeds un mois plus tard, je suis allé dans le bureau de Spooner lui donner mes films. La première chose qu’il m’ait dite : « Capa est mort. »
J’étais à Magnum depuis deux ans seulement mais comme comme les autres photographes je me sentais orphelin.
Marc Riboud
Années 2000