Cette photographie de la Cité interdite sous la neige m’a fasciné au premier regard. Elle est également associée dans mon esprit à une conversation avec Marc Riboud, ce qui me la rend plus chère encore, et plus présente. Le contact avec les artistes est un grand privilège de notre métier : les conversations, le travail, l’amitié dont ils nous gratifient, tout cela est une source d’enrichissement incomparable et nous donne parfois le sentiment de mieux comprendre leur monde, de participer un peu à leur création. Marc me parlait de son premier grand voyage vers l’Asie et de son arrivée difficile en Chine, des circonstances de sa vie à Pékin, dans cet hiver 1957 : l’épreuve du froid, l’étrangeté de ce pays où les occidentaux étaient rares, et le petit matin de neige où il a marché dans une ville endormie jusqu’à la Cité interdite.
Cette photographie, outre sa beauté formelle, frappe par l’atmosphère qui s’en dégage : le silence de la neige, l’apparence paisible de la scène semble une surface qui cache l’inattendu, la menace peut-être. La Cité, porteuse d’un imaginaire de réclusion et de secret, n’est pas un décor endormi sous la neige et la brume. Une histoire très ancienne l’habite. Le personnage qui suit la trace dans la neige, chemin canalisé par des murs sombres, des grilles, des barbelés, a quelque chose de mystérieux et d’indéchiffrable : image surgie du passé, gardien, simple promeneur … ? Un matin de neige, de l’autre côté du monde, au « centre du monde » : l’Empire du Milieu (中国) encore endormi.
Didier Brousse
2015