Les photographes de presse et leur jargon formaient une confrérie dont je me sentais exclu jusqu’à ce que, lors de l’indépendance de l’Algérie, je partage avec eux cette passion de l’actualité. Course folle pour se placer en tête d’un défilé, pour le précéder et non le suivre. « Si tes photos ne sont pas bonnes, tu n’es pas assez près » me disait Capa.
Je marche à reculons, les visages, les cris se rapprochent, je n’entends même plus le bruit du déclencheur. Je sens que je photographie mieux. Ballotté par les vagues et les soubresauts de la foule, les yeux pleins de poussière et de soleil, les images se bousculent dans un corps à corps de plus en plus fort qui me met en résonnance avec la vibration de la foule.

La ferveur est contagieuse, j’essaie de ne pas me laisser submerger. La clameur monte, un certain état de grâce aussi. J’améliore le cadrage. Et la dixième photo est la bonne. Emportés par la joie délirante de l’indépendance, ces jeunes se croient désormais libres et heureux. Que sont ils devenus aujourd’hui, eux et leur beau rêve ?
 

Marc Riboud