Le choix, comme la liberté et l’embarras du choix, ce n’est pas seulement une préoccupation existentielle, pour nous photographes. Notre œil se penche plus longtemps sur la loupe pour « éditer » nos contacts qu’il ne se porte au viseur de notre appareil. Et nos muscles ciliaires souffrent comme ceux des diamantaires d’Anvers ou des horlogers de notre enfance.

Réflexe, ligne de mire, pulsion…il faut un centième de seconde pour un coup d’œil, pour un déclic, mais ensuite des heures de patience pour choisir la bonne photo sur nos planches de contact.

Faut-il les publier ces « contacts », cet inventaire de tous les clins d’œil enregistrés par notre Leica ? Faut-il montrer nos brouillons, étaler nos gribouillages, ouvrir nos carnets de notes pleins de secrets et de tâtonnements, bourrés aussi de fausses notes à la recherche de la note juste, de la bonne image ? Cette recherche, comme la palette du peintre et ses croquis, est l’inévitable cheminement aboutissant à la photo imprimée ou exposée.

Combien de dizaines, de centaines de photos pour une bonne ? Devant cette répétition de déclics, le profane quelquefois s’exclame : « Sur tant de photos vous en aurez bien une bonne ! » Remarque amplifiée par la pratique du moteur comparable à celle de la mitraillette après le fusil à un coup. La rafale permet d’atteindre plus sûrement une cible, permet-elle vraiment de réussir une meilleure photo ? (…) Je ne crois pas. Un milliard de photos ne donnera par conséquent à un singe aucune chance de faire un Kertész ou un Doisneau.
Ce choix, comment le faisons-nous ? Bien sûr, il est d’abord déterminé par les valeurs et les harmonies de la forme comme du contenu. Il est aussi influencé par l’humeur du moment, par les avis généralement contradictoires des amis compétents. Mais le plus souvent, sur une planche, la meilleure photo saute aux yeux comme le bon accord sonne juste à l’oreille.
Nos choix, nos goûts, varient avec le temps. Nous regardons notre travail, 30 ans après, avec des yeux différents et même, heureusement, avec des yeux étrangers. La sélection faite à chaud au retour d’un voyage peut être empreinte d’une chaleur affective, d’un engagement, de sympathies ou d’antipathies qui s’estompent avec les années.

Finalement seul le photographe doit assumer et contrôler son choix en espérant qu’il lui en soit donné le pouvoir. Car ce choix est pour lui l’ultime moyen de s’exprimer. Et son style sera d’autant mieux défini qu’il aura su non seulement choisir ce qu’il préfère mais surtout préférer ce qu’il choisit.

 

Marc Riboud